Jan Lundgren & Hans Backenroth duo

En musique comme dans la vie, il est une magie inhérente aux premières fois, à ces moments où tout paraît possible, pour peu qu’on accepte de vivre pleinement l’instant. Cette fraîcheur des débuts fait tout le charme de  Jazz Poetry, témoignage du premier concert en duo du pianiste Jan Lundgren et du contrebassiste Hans Backenroth, donné dans le cadre exceptionnel de l’ACT Art Gallery à Berlin, où le producteur Siggi Loch aime à proposer des soirées musicales exclusives et inédites. Au beau milieu d’œuvres contemporaines signées Philip Taaffe, Gerhard Richter, Martin Noël ou Martin Assig, trône le Steinway d’Alfred Brendel, celui-là même que la légende du piano classique jouait lors de ses récitals à la Philharmonie de Berlin. Pour cette occasion pas comme les autres, les deux musiciens ont mis au point un répertoire sur mesure, avec à la clé plusieurs compositions inédites.

Ce n’est plus un secret pour personne : Jan Lundgren est un véritable poète du clavier, comme en témoignent les disques du trio Mare Nostrum avec Richard Galliano et Paolo Fresu, ou plus récemment sa rencontre avec Émile Parisien et Lars Danielsson sur l’album Into The Night. Le titre Jazz Poetry n’a donc pas été choisi au hasard, comme le souligne le pianiste : « La musique stimule l’imagination, à la manière d’un poème. (…) Comme les écrivains, nous autres musiciens racontons des histoires et faisons naître des images dans la tête des auditeurs. Dans un cas comme dans l’autre, il s’agit avant tout d’émouvoir, de toucher au cœur. » Pari réussi, au fil d’un dialogue lyrique où jazz, classique et chansons folk ou pop entrent naturellement en résonance.

Un pianiste et un contrebassiste suédois jouant en duo : les connaisseurs ne manqueront pas de penser à Jazz på svenska, album fondateur du jazz scandinave gravé en 1964 par Jan Johansson et Georg Riedel, sur un répertoire de chansons traditionnelles. Le duo ne manque pas de tirer sa révérence à ce classique, en puisant à son tour dans le folklore national avec les relectures de “Polska No.1“ et “Gårdsjänta“. Mais son univers ne s’arrête bien sûr pas là, comme on pouvait s’y attendre de la part d’un musicien comme Jan Lundgren, n'ayant pas son pareil pour conjuguer les styles musicaux les plus variés. Riche de son identité scandinave, son jeu demeure tout autant enraciné dans la grande tradition américaine du piano jazz, sans oublier bien sûr l’influence des grands compositeurs européens. 
Une chanson de Leonard Cohen, un extrait du Requiem de Mozart, un classique des Beatles ou un standard comme “Stella by Starlight” : le répertoire fait feu de tout bois, combinant avec le plus grand naturel swing, mélancolie nordique, enjouement mozartien et esprit impressionniste. Quant aux compositions personnelles de Lundgren, elles témoignent d’un sens mélodique hors du commun. Ajoutez à cela une spontanéité de tous les instants, et vous obtenez une musique où l’inouï le dispute à l’évidence. 

On pourrait s’étonner que Lundgren et Backenroth, tous deux nés en 1966, n’aient pas fondé ce duo plus tôt, eux qui se connaissent pourtant depuis leurs débuts. Leurs chemins se sont ainsi croisés plus d’une fois, au gré d’enregistrements où ils étaient tous deux sollicités comme sidemen. « Nous avons toujours été en contact, mais l’occasion de monter un projet ensemble ne s’était jamais présentée. Lorsque Siggi Loch m’a invité à proposer un nouveau programme dans sa galerie, j’ai immédiatement pensé à Hans. C’est un immense contrebassiste à la technique étonnante, doublé d’un accompagnateur sensible et toujours à l’écoute, doté d'un sens aigu de la mélodie. » Autant de qualités qui ont fait de Backenroth un musicien incontournable de la scène suédoise, au point que le saxophoniste  vétéran Arne Domnerus l’a un jour qualifié de meilleur contrebassiste que le pays ait jamais produit ! Accompagnateur de Putte Wickman, Monica Zetterlund, Svante Thuresson ou encore Ulf Wakenius, il a aussi été – fait connu des seuls initiés – le tout premier contrebassiste du trio E.S.T. Quant à sa carrière internationale, elle l’a vu côtoyer des pointures du calibre de Scott Hamilton, James Moody ou Kenny Barron, pour ne citer qu’eux. Rien d’étonnant à ce que son nom figure à ce jour sur plus de 150 albums !

À coup sûr, ce duo est parti pour durer. Véritable moment de grâce, ce Gallery Concert marque le début d’une collaboration au long cours, qui débouchera dès l’hiver 2022 sur de nouveaux concerts. Pas de doute, ces deux-là ont encore beaucoup à nous dire !